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- Jérôme Maucourant
(TRIANGLE - Triangle : action, discours, pensée politique et économique - ENS de Lyon - École normale supérieure de Lyon - UL2 - Université Lumière - Lyon 2 - IEP Lyon - Sciences Po Lyon - Institut d'études politiques de Lyon - Université de Lyon - UJM - Université Jean Monnet - Saint-Étienne - CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique)
Abstract
La perpétuation, spécialement en Europe, des logiques libérales au sein des politiques économiques, deux années après la crise de 2008, peut surprendre. À côté d'une façon de " keynésianisme du désastre ", que l'on tente d'occulter ou d'abandonner, parce que le fétiche de la " reprise " semble paraître ou que les dettes publiques semblent excessives désormais, les offensives visant à la réduction des sphères publiques ont repris de la vigueur. Le FMI reprend son rôle de syndic de la banque internationale et les velléités de réglementation de la finance sont presque oubliées. À la déflation du public s'ajoute l'amoindrissement du commun : comme jamais, les lieux du commun se réduisent à mesure que s'utilisent à l'excès les ressources naturelles et que se constatent les irréversibilités environnementales. Tel est, sans doute, le prix à payer pour que la croissance des pays " émergents " ranime le Capital défaillant. Sans doute, mais pas seulement. Il est essentiel de prendre en compte un effet de rémanence idéologique. Le libéralisme, comme culture, s'est enraciné depuis deux siècles ; il possède, à l'image du discours religieux, une capacité étonnante à immuniser les consciences collectives des chaos du monde réel qu'il contribue à produire et entretenir. Sans ce ciment qui unit les consciences, le capitalisme ne tiendrait pas longtemps. Un aspect de cette culture nous concerne précisément : la croyance en une " science économique ", fiction qui rationalise, organise et justifie notre monde à partir de la référence centrale au " marché ". En ce sens, une part des productions savantes a une fonction mythopoiétique. D'où l'effet en retour que l'on doit signaler : si des mythes économiques contribuent à construire le monde, il faut les identifier comme tels et, finalement, alimenter la controverse sur le soubassement d'une science construite sur la centralité du marché. Cette place occupée par le marché a un avantage important dans le champ académique : négliger la puissance structurante du Capital. L'obsession du marché, en effet, revient à méconnaître la force d'un rapport social spécifique de séparation, ce qui est la marque de fabrique de l'idéologie ordinaire unissant dans le règne de l'idéel ce qui est séparé dans l'empire du matériel. Nous ferons donc, en premier lieu, une brève esquisse de ce qui fut " l'impérialisme de l'économie " des années 1970-1990, mouvement poussant l'économie " hors d'elle-même " et approfondissant l'autonomie supposée de celle-ci vis-à-vis des autres sciences sociales. En conséquence, il s'est constitué une clôture de la théorie, qui s'est immunisée contre nombre de faits : on prétend encore que la solution à la crise actuelle est l'institution de nouveaux marchés et la liquidation de tout ce qui peut s'apparenter à des garanties de l'Etat. Ces mécanisme de défense surgissent avec une vigueur qu'on ne lui avait pas connue depuis les années 1930, même s'il faisait quelques années que les crises mineures du capital mondialisé, celles des années 1990, suscitaient semblable tropisme. Ensuite, nous aborderons, successivement, l'étude de fragments révélateurs de trois importants économistes contemporains, dans le dessein d'illustrer que l'occultation du Capital, au profit du marché ou de ses simulacres, implique des impasses. Comme le prix " en mémoire d'Alfred Nobel " (offert par la Banque de Suède) est la distinction qu'affectionnent les économistes du courant dominant, nous choisirons donc d'évoquer quelques aspects des travaux de North, Stiglitz et Krugman. Bien que le triomphe de la " mentalité de marché " ait durablement ossifié le travail de nombreux économistes, ces économistes de renom se sont autorisés quelques émancipations révélatrices vis-à-vis de carcans longtemps respectés. Ce sont les graves dérives de la science économique qui les ont conduits à prendre leur distance vis-à-vis de discours ou de pratiques, lesquels, risquaient, à terme, de discréditer leur idéal scientifique. Stiglitz et Krugman sont assurément les plus critiques sur l'idéologie dominante imprégnant la grande majorité de leurs collègues , North prétendant, de façon moins hérétique, construire un cadre qui englobe la théorie néoclassique, de façon à rendre compte du changement. Néanmoins, le fait est que tous, à leur façon, redécouvrent la question politique, sans s'engager réellement sur la voie de l'économie politique qu'il nous faut distinguer de la science économique, structurée par une logique formaliste . Avant de conclure sur la nécessité d'aller au-delà de l'offre et de la demande, nous évoquerons une pensée française dans la mondialisation : Pierre Dockès s'inquiète de ce que la peur de la mondialisation ne soit que l'expression d'une peur régressive de l'altérité. Cette crainte sérieuse ne devrait-elle pas, pourtant, nous faire oublier que le " protectionnisme social et écologique " a des forts arguments en sa faveur, notamment dans l'Europe de ce début de siècle ?
Suggested Citation
Jérôme Maucourant, 2014.
"La pensée économique à l'épreuve de la crise de 2008,"
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