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- Arnaud Daugnaix
- Marie Goransson
- Michel Verstraeten
Abstract
Si le mot est assez récent, l'idée de méritocratie trouve ses racines assez loin dans l'histoire. Elle promeut le principe selon lequel l'accès au pouvoir ("-cratie" de "kratos", force et pouvoir) doit être octroyé en fonction du mérite individuel et non par reconduction sociale, en fonction des richesses ou des relations individuelles. La Chine fut probablement un des premiers états à soutenir – avant notre ère – cette forme d'égalité des chances, en instaurant un système de concours pour l'accession aux différents postes publics (Pratt, 1991). Plus proche de nous, Napoléon réserva l'accès aux plus hautes fonctions de l'État (administrations, magistrature, politique) aux lauréats des grandes écoles. À notre connaissance, la première mention du terme "méritocratie" lui-même apparaît dans le titre d'une oeuvre d'anticipation écrite par le sociologue anglais Michael Young en 1958 ("The rise of the meritocracy"). Il décrit une société utopique, dans laquelle les postes sont octroyés aux travailleurs en fonction de deux critères: leur intelligence et leur effort. Fondamentalement, les principes méritocratiques rejettent l'idée d'une sélection ou d'une promotion sur base d'une appartenance sociale ou politique pour faire la place à une logique de mérite individuel. En soi, ce qu'est le mérite n'est pas précisé, et chaque groupe social peut définir – ou imposer – une manière de le concevoir. Si Young, pour sa part, définissait le mérite comme la somme de l'intelligence et des efforts, les systèmes politico-administratifs belges ont articulé le principe méritocratique sur des éléments tels que les diplômes, la réussite d'examens ou de concours et l’ancienneté. Ce choix était à l'origine motivé par la volonté de protéger les fonctionnaires et leur carrière des interférences politiques (Molitor, 1974). Les systèmes de recrutement et de promotion dans l’administration ont été dans ce sens pensés de manière à « identifier de manière impartiale et neutre les candidats qui possèdent au plus haut point les qualités equises de formation, de caractère, de compétence, d’expérience » (Stenmans, 1999, p. 45). Il s'agit donc, et nous y reviendrons, d'inscrire l'accès aux fonctions de l'état dans une logique de valorisation du potentiel des agents plutôt que dans une logique de réalisation. Ce potentiel était – et est encore clairement – essentiellement évalué hors contexte de travail, c'est-àdire que les agents qui veulent se voir reconnaître le droit à accéder à un poste ou être promu à un autre doivent passer des épreuves qui sont bien souvent très déconnectées de leur réalité de travail. Depuis quelques années, et de manière de plus en plus flagrante, le contexte dans lequel les administrations sont plongées change fondamentalement. Les exigences des citoyens et, par rebond, du monde politique, opèrent une pression croissante sur la performance de ces organisations alors même que leur environnement – notamment légal et technologique – se complexifie à un rythme soutenu. Les réformes du secteur public, dont les premières furent lancées à la fin des années 70 avec une intensité variable selon les pays, sont désormais de plus en plus étroitement associées au concept de performance. Comme le souligne une récente étude menée à l’initiative de l’OCDE, « (…) la gestion de la performance constitue le volet principal des réformes du secteur public » (OCDE, 2005). Un peu partout sont apparues des politiques et des pratiques cherchant à promouvoir la performance organisationnelle et individuelle. Cette articulation – ou, faudrait-il dire, cette imbrication – des deux niveaux de performance (organisationnel et individuel) est essentielle :si on ne mobilise des nouveaux instruments de gestion qu'au niveau organisationnel (tels que l'identification des missions de service public, la définition d’objectifs stratégiques et d'indicateurs associés, etc.), la probabilité est grande que la volonté politique de réorienter le fonctionnement des services publics reste lettre morte. Le monde politique et les administrations travaillent donc à élaborer des nouveaux outils de gestion des ressources humaines. En d'autres termes, la performance comme but collectif s’appuie sur la performance individuelle. Si la méritocratie – ou en tout cas la forme de méritocratie que nous avons évoquée – a souvent été présentée comme un fondement de nos systèmes administratifs, c'est donc aujourd'hui la performance qui semble se profiler, certes timidement, comme pierre d'angle des nouveaux modes de management des affaires publiques. Cet article a pour vocation, d’une part, de mesurer l'ampleur de la traduction de la volonté politique d'une orientation "performance" en dispositifs d’évaluation du personnel et, d’autre part, d'examiner dans quelle mesure ces dispositifs sont mis en oeuvre en Belgique.
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