Diffuser des standards d'interopérabilité : atouts et contraintes des méta-organisations

L'interopérabilité s'est hissée en tant que priorité des stratégies numériques nationales. Les standards d'interopérabilité ouverts permettent en effet aux administrations publiques de gagner en efficacité, mais aussi aux gouvernements d'encourager l'émergence d'une économie numérique inclusive et respectueuse des libertés individuelles. Dans cette perspective, le Centre de recherche en technologies de l'information et affaires (CeRTIA) de l'Université Laval conduit une recherche visant à informer le Centre québécois d'excellence numérique (CQEN) quant aux stratégies pertinentes pour la diffusion de standards d'interopérabilité parmi les acteurs socio-économiques du territoire québécois. Les stratégies de diffusion des standards d'interopérabilité sont soumises à deux mécanismes d'inertie qui complexifient l'appréhension des phénomènes à l'œuvre. Premièrement, les organisations préfèrent adopter des standards déjà diffusés parmi leur champ organisationnel et utilisés par leurs partenaires d'affaires, plutôt que d'opter pour des standards émergents prometteurs mais à la capacité de diffusion incertaine. Deuxièmement, les organisations sont par nature prudentes quant à l'adoption d'innovations numériques dont elles peinent à appréhender les bénéfices et risques. Les méta-organisations se distinguent en tant qu'acteurs disposant d'atouts pertinents pour dépasser ces mécanismes d'inertie. Les méta-organisations se définissent comme des organisations dont les membres sont eux-mêmes des organisations, plutôt que des individus : elles comprennent les réseaux d'entreprises (associations industrielles, associations professionnelles) mais aussi d'organisations de la société civile (fédérations d'établissements d'enseignement) ou encore d'organismes publics (associations de collectivités territoriales). Elles sont établies dans le but de créer un espace de collaboration entre leurs organisations-membres, qui sert à la fois à les préserver des pressions de leur environnement et à encourager leur évolution en lien avec ces mutations extérieures. À ce titre, elles sont amenées à produire et diffuser des standards d'interopérabilité parmi leurs membres. Les méta-organisations sont toutefois variées à la fois dans leurs caractéristiques et leurs activités. Étant encore relativement peu étudiées par les chercheurs en gestion, l'état des connaissances actuelles ne permet pas de prédire quels facteurs internes et externes à la méta-organisation amenant celle-ci à conduire une activité de standardisation auprès de ses membres. Ce constat nous amène à la seconde partie du rapport. La recension des écrits nous a permis d'identifier deux types de facteurs influençant l'action de standardisation des méta-organisations : des facteurs externes, dits facteurs contextuels, et des facteurs internes, dits facteurs dispositionnels. L'ensemble de ces facteurs sont présentés et expliqués dans la section qui y est relative. Les facteurs contextuels ont été envisagés à partir de quatre niveaux d'analyse : national, sectoriel, inter-organisationnel et organisationnel. Nous retenons en particulier que l'action gouvernementale peut être un facteur important dans la décision et la capacité d'une méta-organisation à engager une stratégie de standardisation. En particulier, lorsqu'une nouvelle technologie se diffuse rapidement, la réponse du législateur peut paraître trop lente pour les organisations sous pression : celles-ci tendent alors à se tourner vers la méta-organisation pour produire et diffuser des standards. Toutefois, la configuration de certains secteurs peut limiter la capacité de la méta-organisation à mobiliser ses membres : c'est notamment le cas lorsque les activités des organisations sont diversifiées, ce qui tend à créer une disparité dans les intérêts poursuivis par chaque acteur. Dans ce dernier cas, le soutien des pouvoirs publics peut s'avérer pertinent pour soutenir le leadership de la méta-organisation. Il nous apparaît important de relever que les organisations sont attentives aux rapports de force inter-organisationnels. Ainsi, si ces standards d'interopérabilité impactent les équilibres des relations entre organisations (par exemple, en permettant à un acteur de centraliser les données), ils peuvent se trouver confrontés à une résistance de la part des organisations ciblées. Quant aux facteurs de type dispositionnel, ils sont présentés en trois catégories : la structure organisationnelle et la composition du membrariat de la méta-organisation, les ressources que la méta-organisation offre à ses membres et les mécanismes de résolution des différends qu'elle met en place, et le capital social de la méta-organisation lui permettant en particulier d'opérer un contrôle sur ses membres. Nous retenons notamment l'importance de la composition du membrariat : un membrariat caractérisé par une forte cohésion (qui peut tenir de l'activité économique comme du projet poursuivi) est typiquement assorti d'une plus forte capacité de la méta-organisation à conduire des projets d'innovation. Cette capacité peut être d'autant plus renforcée si un membre adopte une position de leadership, en mettant certaines de ses ressources à disposition de la méta-organisation pour permettre à cette dernière de conduire des activités de standardisation. Relevons que les activités de la méta-organisation sont à la fois motivées par les intérêts de ses membres et ses intérêts propres : ainsi, selon si elle perçoit les standards d'interopérabilité comme une opportunité ou une menace pour ses intérêts, elle peut choisir d'y participer ou d'y résister. La dernière section de ce rapport s'attache à proposer certains critères destinés à identifier des méta-organisations à partir de leur capacité et leur intérêt présumé à diffuser des standards d'interopérabilité. Six critères ont été formulé : une perception (de la part de la méta-organisation et de ses membres) d'une pression à la modernisation ; une absence ou faible diffusion de standards d'interopérabilité sectoriels ; une autonomie relative des organisations envers les pouvoirs publics ; des rapports de force inter-organisationnels relativement équilibrés ; un leadership exercé par une organisation-membre au sein de la méta-organisation. Tel que détaillé dans le rapport, ces critères sont représentatifs de la diversité des facteurs identifiés, intégrant à la fois les dimensions dispositionnelle et contextuelle.