Perte de sens au travail dans les activités médico-sociales : quelles marges de manœuvre pour les professionnelles ? Commentaire

Cette contribution est issue de plusieurs années de recherche, d'abord sur l'aide à domicile et plus récemment sur les activités médico-sociales dans le champ des personnes âgées (Ehpad et aide à domicile) et du handicap, dans le cadre d'une recherche-action financée par l'Ires (Puissant, 2024). Les méthodologies utilisées dans nos travaux sont mixtes et articulent plusieurs niveaux. D'abord, nous nous ancrons dans un cadre théorique et analytique en économie politique, mêlant socio-économie de la quantification (Desrosière, 2008) et socio-économie du travail et des services (Gadrey, 2003). Nos travaux s'inscrivent dans les nombreuses recherches visant à mieux comprendre et rendre compte de l'importation d'un référentiel industriel, marchand et comptable dans des activités de services relationnelles, comme Pôle emploi (Pillon, 2015), la santé (Batifoulier, 2018), les Ehpad (Delouette Nirello, 2016) et plus globalement dans l'ensemble de la société capitaliste (Jany-Catrice, 2012). Ensuite, nous nous appuyons sur une analyse des évolutions politico-législatives, à partir de l'analyse des lois, rapports, réglementations et contractualisations entre financeurs publics et établissements sociaux et médico-sociaux. Enfin, nos recherches reposent sur un important matériau qualitatif constitué d'observations et d'immersions dans des établissements et services dans le champ du handicap, de l'aide à domicile et des Ehpad, et d'entretiens collectifs et individuels semi-directifs principalement avec des salariées directement en lien avec les personnes accompagnées, mais également avec les familles d'usagers et usagères, des membres de la direction ou des conseils d'administrations d'associations gestionnaires d'établissements et services. Nous proposons donc de discuter l'article de Florian Pisu et ses collègues (Le mal-être des professionnels en Ehpad et en période pandémique, Sciences Sociales et Santé, vol. 42, n°1, 2024) à partir d'une analyse du travail concret et du regard des professionnelles. Cela nous amène à aborder la question des conditions de travail dans ces activités particulières du lien, de la relation, s'exerçant auprès de personnes en situation de fragilité, à partir d'un angle particulier : celui de la perte de sens au travail. Nous procéderons en trois étapes. D'abord nous synthétiserons les évolutions politico-législatives et organisationnelles menant à une vision industrielle du service (1). Nous expliquerons ensuite pourquoi cette vision industrielle entre en contradiction avec la vision relationnelle du service, vision constitutive du travail "bien fait" selon les salariées (2). Enfin, nous évoquerons les stratégies mises en place par les salariées pour maintenir du sens au travail (3).