La sagesse insaisissable du manager : quel apport de la philosophie aux sciences de gestion ?

Thalès, le premier des sept sages, serait tombé dans un puits alors qu'il observait les cieux et aurait été moqué par une servante. L'anecdote apparaît chez Platon (Théétète, 174a) et se retrouve au fil des siècles, alimentant la légende d'un sage perdu dans la contemplation, incompris et coupé des hommes ordinaires. Cette image populaire contraste avec les références courantes trouvées en sciences de gestion sur la sagesse managériale. Un manager sage n'est évidemment en rien un contemplatif ou un savant, c'est un homme d'action avisé, garant du bon fonctionnement de l'organisation. Quel emploi est fait du mot sagesse sous la plume des gestionnaires ? Appartient-il au langage courant, relève-t-il de la notion, du concept ? Un de ces usages empruntent-ils quelque chose à l'acception philosophique ? Nulle autre discipline n'apparaît en effet plus légitime que la philosophie pour parler de la sagesse. Son étymologie, largement reprise et commentée, est son acte de naissance en Occident. La philosophie, comme « amour de la sagesse » (philein sophiâ), est désir de savoir, mouvement infini vers une vérité qui se dérobe. La sagesse est le pli où la connaissance se nie en s'affirmant, selon la célèbre formule de Socrate, « je suis un peu plus sage, (en ce) que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point» (Platon) 1 . De Pythagore à Deleuze, les philosophes ont investi ce paradoxe en forgeant un concept identitaire : le philosophe est sage en ce qu'il cherche à savoir et, en cela, sa mission n'est pas de transformer le monde. Les contradicteurs à la perspective philosophique diront donc qu'elle ne sert à rien, non seulement dans la vie quotidienne, mais a fortiori pour la pratique managériale qui, elle, est tournée vers la performance et ne peut être qu'intéressée et pragmatique. La philosophie apporte-t-elle quelque chose aux sciences de gestion pour envisager une forme de sagesse dans la pratique managériale ? Dans un premier temps, nous verrons que les sciences de gestion peuvent très bien se passer de la philosophie pour penser la sagesse du manager. Nous montrerons ensuite ce qu'elle apporte malgré tout sur le sujet. Nous tenterons alors de poser quelques enjeux concernant les liens entre philosophie et sciences de gestion.