« On espère des jours meilleurs " : des agriculteurs au défi des tensions de rôle. Une étude empirique en Région Centre-Val de Loire

En 2020, la France comptabilisait 416 000 exploitations agricoles et près de 800 000 employés à titre permanent (Agreste, 2022). Parmi ceux-ci, les exploitants et co-exploitants représentaient près de 65% des travailleurs. S'ils forment le noyau central d'un secteur essentiel de notre économie, ils constituent pourtant une population en déclin (Cabanel et Férat, 2021 ; Purseigle et Hervieu, 2022), dans un monde traversé par des crises multiples et répétées. Ce contexte global n'est pas sans conséquences pour les agriculteurs, et les éclairages apportés par la littérature sur les questions de stress et de suicides (Deffontaines, 2014, 2019 ; Mabire et al., 2016) jettent une lumière crue sur leur condition. Si les spécificités du monde agricole sont bien identifiées (Hervieu et Purseigle, 2013 ; Lenoir et Ramboarison-Lalo, 2014), les modèles traditionnels d'analyse des facteurs psychosociaux de risques peinent à en appréhender pleinement les causes (Célérier, 2014). Pourtant, une approche par le quotidien de leur vie et de leur travail témoigne de tensions multiples : pénibilité, normes réglementaires, imbrication des temps et des sphères de vie, transmission... Comment caractériser ces tensions et que nous disent-elles du monde agricole ? Ces questions suscitent notre intérêt de chercheur et mettent en lumière la pertinence d'une approche par le concept de tensions de rôle (Katz et Kahn, 1978 ; Royal et Brassard, 2010 ; Djabi et Perrot, 2016 ; Arras-Djabi et al., 2021) et amènent une autre question : comment les agriculteurs font-ils face aux tensions perçues pour tenir, avancer, continuer, résister ? Autrement dit, quelles stratégies (Lazarus et Folkman, 1984 ; Suls et Fletcher, 1985 ; Hartmann, 2008) mobilisent-ils pour faire face aux tensions de rôle ? Certaines caractéristiques ou ressources (Bakker et al., 2003 ; Luthans et al., 2007) sont-elles plus facilitantes que d'autres ? Ces questions guident la recherche empirique que nous menons depuis 2019 auprès de 42 agriculteurs de la Région Centre-Val de Loire. L'analyse de notre matériau de recherche met en lumière la multiplicité, la possible simultanéité des tensions de rôle perçues par les agriculteurs et la variété des stratégies mobilisées pour y faire face. Les ressources et plus particulièrement celles composant le capital psychologique, jouent un rôle majeur et permettent de faire face et d'ajuster les réponses aux problèmes perçus. Le soutien social, largement mobilisé, constitue autant une stratégie qu'une ressource salutaires. Le contexte global et l'environnement politique constituent des éléments déterminants, possiblement sources de tensions et de soutien, et sont l'objet d'attentes nombreuses de la part des agriculteurs. Dans un contexte national d'élaboration d'une nouvelle Loi d'Orientation et d'Avenir Agricole, une attention particulière aux phénomènes étudiés gagnerait à être prêtée.