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Il y a soixante ans (juillet 1962), l'Algérie accédait à son indépendance. La jeune nation en formation engageait un processus de développement économique, social et politique d'une ampleur inégalée face aux destructions et désarticulations massives produites par 132 années de colonisation et 8 ans de guerre. Tout processus de développement, c'est-à-dire d'industrialisation, est un processus contradictoire de transformation des rapports sociaux au service de la formation d'un appareil industriel autonome. L'Algérie n'y échappe pas, offrant ainsi une expérience contrastée, exemplaire et contradictoire que les contributions de ce dossier restituent. Expérience contrastée, face à l'immensité de la tâche d'édification d'une base autonome d'accumulation, des progrès sociaux et infrastructurels réalisés (éducation, santé, niveau de vie), mais avec de nombreuses zones d'ombre (démographie, agriculture, emploi, égalité des genres, désindustrialisation, déforestation, développement urbain anarchique). Expérience contrastée car entre 1970 et 2020, l'Algérie a investi (formation brute de capital fixe) deux fois plus que le Maroc et quatre fois plus que la Tunisie. Or, ces pays voisins ont enregistré des taux de croissance plus élevés. Expérience contrastée d'édification d'un État qui débouche sur de très nombreux et profonds problèmes de gouvernance au point d'éroder la légitimité même de l'institution étatique au-delà de la crise du « régime » ou du « système ». Expérience exemplaire de l'écart entre un modèle de développement – l'industrialisation par les industries industrialisantes – et la stratégie mise en œuvre pour le réaliser. Exemplaire des problèmes de rupture avec les structures de l'héritage colonial, pas seulement français, mais également ottoman, ce dernier étant sous étudié et très peu documenté. Expérience exemplaire de par les questionnements qu'elle suscite : une économie pétrolière peut-elle « réussir » sa diversification ? Plus fondamentalement, une économie pétrolière est-elle réformable et à quelles conditions sociales et d'économie politique ? Quels dispositifs institutionnels seraient à même de garantir le passage d'un usage improductif de la rente à un usage productif ? Est-il possible de rompre avec les schémas de spécialisation intensifs en ressources, dont la permanence sur plus de deux siècles est notable ? Expérience contradictoire d'une ambitieuse politique de développement volontariste fondée sur les ressources en hydrocarbures, la machine-outil et l'étatisme (1962-1992) puis sa déconstruction méthodique (1992-2022). Ces soixante années ne seraient-elles pas les deux phases d'un cycle d'économie politique, dont le point bas de retournement n'est toujours pas atteint, de construction-déconstruction d'un régime d'accumulation ? Expérience contradictoire qui, malgré des indicateurs socioéconomiques globalement satisfaisants, génère un « développement mécontent » au sein d'une jeunesse (30 % de la population est âgée de 19 à 25 ans et 54 % est âgée de moins de 30 ans) qui, dans son immense majorité, rêve d'ailleurs. Expérience contradictoire de construction d'un rapport au monde au travers de politiques protectionnistes, suivie d'une libéralisation imposée par le FMI en 1994, d'un isolement forcé entre 1992-2005 puis d'une exposition irréfléchie et excessive à la concurrence marchande au profit de certains groupes sociaux domestiques. Contradiction de la construction d'un rapport au marché mondial tout à la fois source de modernisation, de réaction conservatrice et de fermeture de l'ordre social. Ainsi, l'expérience algérienne de développement suit sa dynamique. Le Président Boumédiène (1965-1979) renverse le Président Benbella et engage le pays sur une trajectoire d'industrialisation ; le Président Bendjedid (1979-1991) succède à Boumédiène (1979), l'occasion d'un bilan qui donnera lieu à une reconsidération des options stratégiques de la présidence précédente et ouvrira une décennie dont les contradictions éclateront violemment au grand jour. Il faudra plus d'une nouvelle décennie (1992-2004) pour en atténuer l'intensité. Les recompositions socioéconomiques violentes de cette période aboutiront à la mise en place d'un régime de croissance tirée par la dépense publique, centré sur la circulation marchande au détriment de la transformation structurelle. Les années Bouteflika (2002-2019) seront marquées par une fuite en avant financière, une recomposition clientélaire des groupes rentiers et une bureaucratisation de l'État. Les contradictions de ce régime sont à l'œuvre. Elles n'en questionnent pas la durabilité, mais plutôt sa nécessaire transformation face à deux paramètres qui contraignent l'espace politique (policy space) pour le développement dont dispose l'Algérie. Le premier concerne sa croissance démographique qui, après avoir baissé dans les années 1980-1990 à 2,4 %, est repartie à la hausse à partir des années 2000 (3,1 %), et exige un taux de croissance et un niveau d'investissement dans des capacités productives porteurs de nombreuses incertitudes. Le second renvoie aux effets socio-environnementaux des changements climatiques et aux vulnérabilités structurelles auxquelles le pays sera confronté dans les années à venir : érosion et salinité des sols, érosion côtière, désertification, insécurité alimentaire, pénurie hydrique, etc. Le « Hirak »[1] (2019) a débouché sur une nouvelle direction politique qui a été confrontée à la crise de la COVID-19 (2020-2020). Cette dernière a exacerbé les inégalités, approfondie la pauvreté relative et révélé les carences de la gestion de la chose publique. La crise ukrainienne (2022) et ses effets sur les prix de l'énergie donne des marges de manœuvres budgétaires et financières à la nouvelle direction politique. Quels usages en fera-t-elle ? Quelle est son projet économico-politique ? Les contributions de ce dossier restituent ces problématiques. Elles procèdent par une mise en perspective des enjeux et permettent, du moins nous l'espérons, d'avoir un aperçu synthétique des contraintes et opportunités de l'économie algérienne. La diversification, l'industrialisation et la sortie d'un régime de croissance tirée par les hydrocarbures y occupent une place importante (contribution de Y. Benabdallah). De fait, l'Algérie est plutôt confrontée, dans la durée, à une désindustrialisation, à une désagriculturisation, à une dépendance aux importations (souvent de biens de consommation) et à un déséquilibre dans son développement territorial (contribution de K. Boudedja et A. Bouzid). Ces problématiques sont l'expression des défaillances macroéconomiques, sectorielles et d'économie politique (contribution de A. Lounaci et S. Souam) du processus de développement et, plus particulièrement, du virage opéré dans les années 1980 (contribution de A. Mérad). La question qui se pose est pourquoi n'y a-t-il pas eu un nouveau « virage » ? Pourquoi l'appareil décisionnaire – le système national d'économie politique – n'a-t-il pu renouer avec un projet industrialisant ? Au contraire, la période post-conflit (2000-2022) donne lieu à une politique redistributive de la rente à grande échelle couplée à des investissements dans les infrastructures, mais ni l'une, ni l'autre ne sont sources de gains de productivité ou d'effets d'entrainement, centraux au processus de développement. L'Algérie est une économie riche en ressource et en main-d'œuvre, selon la typologie popularisée par le Groupe Banque mondiale. On ne rappellera jamais assez qu'une économie riche en ressource l'est parce qu'elle est, avant toute chose, pauvre en capital. Il n'y a aucune « fatalité », « syndrome », « mal » ou « malédiction » à cela, sauf l'insuffisance de l'accumulation de capital et l'impossibilité de faire émerger des groupes sociaux industrialistes. Quoi qu'il en soit, la dotation en hydrocarbures conditionne toute l'histoire économique de l'Algérie depuis 1958 (découverte du pétrole au Sahara). Elle doit faire face au problème de formation de capital humain qui va de pair avec celui de l'investissement productif et de l'amélioration de sa dotation en capital (contribution de H. Rabouh). Elle doit également, à l'aune de la contrainte climatique et des politiques de décarbonation, repenser sa stratégie de développement et de valorisation tant interne qu'externe de ses hydrocarbures (contribution de S. Boussena). Dès avant l'indépendance, deux études menées sous la direction de François Perroux[2], engagent une réflexion poussée sur les problèmes et les options stratégiques du pays. Ces études ont le mérite de montrer la permanence des problèmes et des choix qui se posent à l'Algérie : choix des industries et de l'industrialisation en tant que transformation structurelle et sociétale ; de la politique scolaire, de formation de capital humain et d'une élite bureaucratique nationale ; du développement agricole ; de l'aménagement de l'espace économique au service d'une insertion active dans l'économie régionale et mondiale, etc. Près de soixante après, le gouvernement algérien publie un rapport Contribution à la Vision Algérie 2035. Vers une économie dynamique, inclusive et résiliente, dans lequel sont, une énième fois reformulés les mêmes constats et propositions, dont de nombreuses, font écho aux Problèmes de l'Algérie indépendante. S'y ajoutent, hélas, de nouvelles : montée des inégalités, dégradation des services publics, lutte contre la corruption, vulnérabilités structurelles. Quelles conclusions en tirer ? Nous en reparlerons dans la Vision 2045…Mais, d'ici là, bonne lecture !
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