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La fiction au service du pédagogue : Bandes dessinées et enseignement de la comptabilité

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  • Sébastien Rocher

    (CEREFIGE - Centre Européen de Recherche en Economie Financière et Gestion des Entreprises - UL - Université de Lorraine)

Abstract

Dans Love is in the Air Guitare, un récit de fiction en bandes dessinées (Le Quellec et Ronzeau 2011), Paul rêve de devenir champion du monde d'Air Guitare. Son frère préfèrerait plutôt qu'il suive ses traces et devienne comptable à son tour. Pour le convaincre, il lui offre des livres de comptabilité afin qu'il découvre cette technique (Le Quellec et Ronzeau 2011, p. 114). Avec ce cadeau, ce personnage pose en creux une question : Quel(s) livre(s) et, plus généralement, quelle approche privilégier pour faire découvrir et faire aimer la comptabilité, une technique souvent perçue comme aride et peu engageante ? Cette question, en apparence anodine, masque en réalité des enjeux primordiaux pour l'enseignement de la comptabilité car, en accord avec Geiger et Ogilby (2000), les premiers cours de comptabilité, lors desquels les étudiants découvrent celle-ci, conditionnent leur choix de s'engager, ou non, dans des études comptables ; et l'approche choisie par l'enseignant pour organiser de tels cours aura une influence déterminante (Saudagaran 1996 ; Mauldin et al. 2000). Comme le rappelle l'historien de la comptabilité André Tessier (1976), de nombreux auteurs de manuels de comptabilité se sont saisis de cette question, et les réponses qu'ils y ont apportées, et que Tessier (1976) passe en revue, peuvent être classées en deux catégories : la première se compose des pédagogues jouant sur le mode de présentation des propos. Par exemple, dès le XIXème siècle, Allier et Richard publient un traité de comptabilité intitulé « Dialogue sur la tenue des livres en partie double », construit en reprenant les codes d'une pièce de théâtre (Tessier 1976). Plus récemment, surfant sur la vague de l'édition d'ouvrages de vulgarisation en bandes dessinées, la maison d'édition américaine SmarterComics a adapté dans ce médium le livre Financial Intelligence (Berman et Knight 2008), centré sur la lecture et la compréhension des états financiers des entreprises américaines (Berman et al. 2012). La deuxième catégorie comprend les auteurs de manuels adjoignant, voire privilégiant, aux exemples issus du monde économique, des références et des illustrations provenant d'oeuvres de fiction, en lien avec l'argument, selon lequel la fiction peut s'avérer être un support adapté à la pédagogie en sciences de gestion (Philips 1995). Ainsi, les chapitres de l'ouvrage de Cossu (1989) sur les écarts et le contrôle budgétaire débutent par une vignette de bandes dessinées tirées d'albums d'Astérix. Au-delà de la légèreté que celles-ci apportent avant d'aborder un propos technique, elles sont aussi une invitation faite aux lecteurs de réfléchir aux implications concrètes du contenu du chapitre. C'est dans cette deuxième voie que s'engage Tessier (1976), animé du projet de montrer les apports possibles de la littérature à l'enseignement de la comptabilité : « J'ai toujours pensé, pour ma part, qu'un pédagogue de la comptabilité devrait […] composer avec humour un traité de la Tenue des Livres qui mériterait le titre de : « La comptabilité sans ennui ». Bénédiction lui serait donnée, pour les siècles des siècles… En attendant ce bienfaiteur de l'Humanité comptable, nous pourrions ensemble essayer de trouver, dans l'immense production littéraire dont nous avons été, et sommes toujours accablés, quelques anecdotes, quelques opinions, quelques oeuvres même qui, s'intercalant et s'insérant éventuellement dans l'enseignement comptable, pourraient lui apporter un air d'humour, une note gaie, une dorure, permettant de mieux faire absorber une pilule que plusieurs considèrent comme aride, hermétique et rebutante » (Tessier 1976, p. 52). Tessier (1976) atteint son objectif en combinant deux approches. D'une part, il est attentif à la structure des oeuvres littéraires, c'est-à-dire la manière dont l'histoire est racontée. Il cite ainsi la nouvelle intitulée Estelle ou le seul roman d'amour de M. Paul Feldspath, écrite par Max et Alex Fischer au début des années 1910 sous la forme d'un livre-journal de caisse : le style écrit est direct et factuel, à l'image de celui d'un teneur de livre dans ses registres, et la mise en forme des évènements du récit calque celle des écritures comptables, avec numérotation, dates et enchaînement chronologique. D'autre part, il construit son étude à partir de l'analyse du contenu des oeuvres, c'est-à-dire l'histoire racontée. Tessier (1976) relève ainsi des références à la comptabilité dans Les Propos de O.L. Barenton, confiseur, d'Auguste Detoeuf (1937), et souligne les représentations des comptables et de leur quotidien dans les romans Les employés, d'Honoré de Balzac (1838), et Ces messieurs de l'industrie, d'André Boulle (1956). Si ces références littéraires, tout comme celles identifiées par Stevelinck (1977) ou Labardin (2010) dans leurs études respectives des représentations du comptable dans la littérature, ou encore celles présentées par Alain Burlaud dans la rubrique « Alain Burlaud a lu… » parue dans la revue Comptabilité-Contrôle-Audit de 1996 à 20072, sont devenues, pour bon nombre d'entre elles, des « classiques » dans le monde de la comptabilité, les descriptions des réalités du XIXème ou du début du XXème siècle qu'elles contiennent ne permettent toutefois plus d'illustrer la pratique comptable contemporaine, du fait des mutations des métiers de la comptabilité et des problématiques actuelles de la profession comptable, par exemple autour de la digitalisation (Frey et Osborne 2013 ; Loriol 2017). Dès lors, s'insérant dans la continuité des travaux de Tessier (1976) sur les apports de la fiction à la pédagogie de la comptabilité, et à la croisée des travaux sur l'apport de la culture populaire à l'enseignement (Sourdot et Janak 2017), le présent article vise à prolonger et actualiser cette approche, en privilégiant un autre médium, à savoir la bande dessinée, et des œuvres plus récentes. Quatre raisons principales justifient le choix de la bande dessinée. Si celle-ci a suscité une forte défiance par le passé, elle s'est progressivement imposée, depuis les années 1960, comme un moyen d'éveiller la curiosité et l'imaginaire, et de proposer une approche plus amusante et plus attirante, et ce à tous les nouveaux d'enseignement, du primaire au supérieur (Collectif 2012, Collectif 2013, Depaire 2019). Ainsi, cours et manuels construits autour d'extraits de bandes dessinées se sont multipliés dans des disciplines aussi diverses que l'histoire (Mitterrand et Ciment 1993 ; Mak dit Mack 2006), l'anglais (Lofficier 1992), la philosophie (Gonçalves 2017), les sciences physiques (Kakalios 2005 ; Gresh et Weinberg 2002), les mathématiques (Justens 2013), plus récemment la finance (Bossard et al. 2019), voire sur des thématiques transversales telles que l'éthique (Gerde 2008). En outre, du fait de la juxtaposition de cases qui caractérise la bande dessinée, c'est le lecteur qui impose sa propre temporalité (Eisner 1985), à l'inverse par exemple du cinéma, où l'œuvre dicte le rythme au spectateur. Le recours à des bandes dessinées est ainsi plus aisé dans une salle de classe. De plus, du fait du coût de production relativement bas d'une bande dessinée, puisque sa réalisation matérielle ne nécessite, a minima, qu'une feuille et un crayon, tous les sujets peuvent être facilement mis en scène, à l'inverse du cinéma ou du théâtre par exemple, où les moyens à mobiliser sont beaucoup plus nombreux et onéreux. En parallèle, tous les étudiants connaissent les codes de lecture d'une bande dessinée, qui est une des pratiques culturelles les plus répandues au cours de l'enfance (Evans et Gaudet 2012). Cela n'est d'ailleurs pas une surprise si la bande dessinée est utilisée par la profession comptable (CROEC 2012, Greenstones et al., date inconnue) ou des organismes de formation aux métiers de la comptabilité (Institut supérieur d'études comptables et financières, date inconnue) pour communiquer sur l'attractivité des métiers de la comptabilité, ou si des entreprises privilégient parfois le monde de la bande dessinée pour valoriser leur expertise dans le domaine de la comptabilité, à l'instar de la compagnie des centres mécano-comptables dans les années 1980 qui détourne la couverture de l'album de bandes dessinées la Marque jaune des aventures de Black et Mortimer dans une publicité de janvier 1984 à destination des professionnels comptables ou, plus récemment, le cabinet KPMG vantant sa compétence en venant au secours de Largo Winch. Enfin, plusieurs études récentes ont mis en évidence les nombreuses références visuelles et textuelles à la comptabilité présentes dans la bande dessinée (voir par exemple Rocher 2017, 2019). Dès lors, la question à laquelle cet article cherche à apporter une réponse est la suivante : Comment des oeuvres de bandes dessinées peuvent-elles être mises au service de l'enseignement de la comptabilité ? Dans le cadre de cette étude, les bandes dessinées utilisées sont toutes des oeuvres éditées et commercialisées, sans distinction de leur genre (humour, policier, science-fiction, etc.), de leur provenance géographique, du volume de leur tirage ou de leur diffusion. Les bandes dessinées publicitaires réalisées par la profession comptable ou par d'autres institutions (cabinets, écoles) ont également été utilisées. Par contre, les bandes dessinées identifiées dans des manuels de comptabilité et créées spécifiquement pour ceux-ci (par exemple, le manuel Travaux d'application comptables (Richard et al. 1986) débute par une planche de bandes dessinées, peut-être réalisée par l'un des auteurs, narrant le fonctionnement d'une entreprise, qui est étudiée tout au long de l'ouvrage), les bandes dessinées didactiques en comptabilité publique (telle que celle réalisée par Rigomont (1987) pour présenter le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, n'ont pas été exploitées. Par ailleurs, cet article ne se focalise que sur des oeuvres de bandes dessinées existantes, et n'aborde pas la question de la réalisation de bandes dessinées comme mécanisme d'apprentissage. La suite de l'article s'organisera de la sorte : la première partie montrera comment des oeuvres de bandes dessinées peuvent être mobilisées pour illustrer et expliquer la logique du fonctionnement de la comptabilité. La deuxième partie mettra ensuite en lumière les mutations des métiers de la comptabilité en recourant à des oeuvres de bandes dessinées, avant une partie conclusive.

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  • Sébastien Rocher, 2021. "La fiction au service du pédagogue : Bandes dessinées et enseignement de la comptabilité," Post-Print hal-03032769, HAL.
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